Maintenant je réalise la vie et demeure dans la quiétude infinie et éternelle.
En Occident, on n'a pas cessé de sonder le mystère de la vie depuis des siècles et on a abouti à un labyrinthe de plus en plus sophistiqué et compliqué. Avec le progrès, l'inquiétude ne fait qu'augmenter. Le nombre des détraqués augmente aussi à une allure inquiétante.
Réaliser la vie, c'est quoi ? Plus on essaye de comprendre la vie, plus on a l'impression qu'elle cache encore et encore des mystères à découvrir. Il n'y a pas un moment où l'on puisse dire : j'ai enfin tout compris. Toute conviction peut être ébranlée par un article de magazine, annonçant une nouvelle découverte.
Réaliser la vie, une fois pour toutes, cela semble impensable pour le commun des mortels que nous sommes. Mais une fois réalisée, la vie prend une toute autre allure. Tout ce qui est dans l'Univers change d'aspect. L'Univers vit, avec celui qui réalise la vie. La quiétude est sans borne.
Je suis frappé ici par un principe fondamentalement différent de ceux auxquels nous sommes habitués et qui réglementent la vie de tous ceux qui vivent dans la société moderne.
Le système de pensée occidental qui sous-tend la vie des civilisés, y compris des Japonais et de bien d'autres peuples, car il s'étend de plus en plus dans le monde, admet l'action sous forme de deux entités opposées : l'acteur et l'action. L'acteur est responsable de son action et celle-ci peut être motivée par des raisons compréhensibles, à moins d'être dans la folie. Les raisons invoquées peuvent être l'intérêt, l'amour, la justice, la curiosité, le désir, l'inquiétude...
L'action, dans ce système, se présente donc sous une forme dualiste : l'acteur et l'action, l'action et la motivation, le justifié et l'injustifiable. L'action peut tendre vers la quiétude, mais la quiétude ne peut pas engendrer l'action.
Et voici maintenant que cette petite phrase de Noguchi me précipite dans un monde inconnu, monde où règne un principe unique, non dualiste et où la quiétude seule engendre l'action.
Ce principe unique et non dualiste existe également chez Maitre Ueshiba : dans son aïkido, la notion d'adversaire est absente.
C'est alors qu'on constate que tout devient insaisissable intellectuellement. Inversement, cela me permet de comprendre l'Occident, comprendre comment un art japonais, non dualiste à l'origine, revêt un caractère dualiste lorsqu'il est adopté en Occident. La recherche de la Voie devient la poursuite du pouvoir.